“précisément dans la même mesure”

Il y a 112 ans, le 7 Mai 1904, le journal “Le Matin” publiait une réponse de Poincaré concernant une polémique en cours, dans un article intitulé “la Terre tourne-t-elle ?”.

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Mon cher collègue,

je commence à ête agacé de tout le bruit qu’une partie de la presse fait autour de quelques phrases tirées d’un de mes ouvrages – et des opinions ridicules qu’elle me prête.

Les articles auxquels ces phrases sont empruntées ont paru dans une revue de métaphysique; j’y parlais un langage qui était bien compris des lecteurs habituels de cette revue.

La plus souvent citée a été écrite au cours d’une polémique avec M. Le Roy, dont le principal incident a été une discussion à la Société philosophique de France, M. Le Roy avait dit : « Le fait scientifique est créé par le savant. » Et on lui avait demandé : « Précisez, qu’entendez-vous par un fait ? – Un fait, avait-il répondu, c’est par exemple, la rotation de la Terre. » Et c’est alors qu’était venue la réplique : « Non, un fait, par définition, c’est ce qui peut être constaté par une expérience directe, c’est le résultat brut de cette expérience. A ce compte, la rotation de la Terre n’est pas un fait. »

En disant : « Ces deux phrases : la Terre tourne, et il est commode de supposer que la Terre tourne, n’ont qu’un seul et même sens. », je parlais le langage de la métaphysique moderne. Dans le même langage, on dit couramment : « Les deux phrases : le monde extérieur existe, et il est commode de supposer que le monde extérieur existe, n’ont qu’un seul et même sens. »

La rotation de la Terre est donc certaine, précisément dans la même mesure que l’existence des objets extérieurs.

Henri Poincaré (1854 - 1912)
Henri Poincaré (1854 – 1912)

Je pense qu’il y a là de quoi rassurer ceux qui auraient pu être effrayés par un langage inaccoutumé. Quant aux conséquences qu’on a voulu en tirer, il est inutile de montrer combien elles sont absurdes. Ce que j’ai dit ne saurait justifier les persécutions exercées contre Galilée, d’abord parce qu’on ne doit jamais persécuter même l’erreur; ensuite parce que, même au point de vue métaphysique, il n’est pas faux que la Terre tourne, de sorte que Galilée n’a pu commettre d’erreur.

Cela ne voudrait pas dire non plus qu’on peut enseigner impunément que la Terre ne tourne pas, quand cela ne serait pas parce que la croyance à cette rotation est un instrument aussi indispensable à celui qui veut penser savamment, que l’est le chemin de fer, par exemple, à celui qui veut voyager vite.

Quand aux preuves de cette rotation elles sont trop connues pour que j’insiste. Si la Terre ne tournait pas sur elle-même, il faudrait admettre que les étoiles décrivent, en vingt-quatre heures, une circonférence immense, que la lumière mettrait des siècles à parcourir.

Maintenant, ceux qui regardent la métaphysique comme démodée depuis Auguste Comte me diront qu’il ne peut pas y avoir de métaphysique moderne. Mais la négation de toute métaphysique, c’est encore une métaphysique, et c’est précisément là ce que j’appelle la métaphysique moderne.

Pardon de ce bavardage, et tout à vous.

Poincaré.
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