La Tune dans le Caniveau

Thierry Crouzet est un trublion comme je les aime. Touche à tout, il est écrivain, ingénieur, blogueur de la première heure, journaliste, a dirigé des journaux spécialisés au XXème siècle quand ils étaient encore sous forme papier, et il réfléchit beaucoup. Il réfléchit à internet, à l’évolution et la révolution de la société et de son architecture.

Comme il bout sous sa calotte crânienne, il en sort des événements surprenants. Il ne fait pas que réfléchir, quand il a trouvé une piste, il agit ! Il a ainsi décidé de lancer une expérience éditoriale inédite, justement nommée “l’expérience inédite“, pour éditer chez plusieurs distributeurs, tant papier que purement numérique, “La tune dans le caniveau” une nouvelle de 70 pages dans un Paris futuriste déliquescent.

Il y est question de révolution sociale, où un thème cher à Crouzet est développé : celui de la complexité. Munis des outils de communication (le réseau) et de production (l’imprimante 3D) ultimes, le peuple est en train de s’approprier son autonomie, et de détruire les anciennes structures pyramidales de pouvoir. Mais le vieux monde résiste de toutes ces forces à ce changement, et guerre civile, chaos, ordures amoncelées partout, sont le décors d’une course effrénée de l’héroïne, “Extase”.

L’initiative est auto-récursive, puisqu’en éditant ce livre avec une équipe librement constituée, Crouzet réalise lui même sa production et sa distribution, détruisant ainsi les liens qui unissaient auteurs et éditeurs dans les siècles passés.

Comme il l’explique très bien, on peut désormais éditer à coût nul, il n’est plus besoin d’avance de nulle sorte aujourd’hui. Des imprimeurs à la demande remplaçant très avantageusement le besoin d’avance pour l’impression de grandes quantités qui seule permettait d’avoir des prix abordables. Ces imprimeurs là savent imprimer tous les formats à l’unité, pour un grand nombre de commandes de livres différents, et ce problème n’existe quasiment plus, sauf à faire baisser encore un peu plus les coûts.

Ce faisant, Crouzet approche du problème plus global qui va bloquer ces initiatives à la source : Le crédit n’étant plus injecté dans l’économie qui n’en a plus besoin, d’où va venir la monnaie permettant la circularité des échanges dans l’espace et dans le temps ? Il aborde succinctement le sujet, quand il cite la “Théorie Relative de la Monnaie” dans sa nouvelle…

En lisant “La tune dans le caniveau” je n’ai pas pu m’empêcher de penser à L’éternel Adam de Jules Vernes, pour le thème du renouveau des civilisations, ainsi qu’à l’Incal de Moëbius / Jodorowski où le Paris futuriste esquissé par Crouzet m’a fait penser à la Cité Puits, et cet étrange univers décadent, qui se prépare à vivre une profonde transformation…