Dialogues avec Richard Stallman

Ce 9 Novembre dernier à Genève fut un jour mémorable. L’événement organisé par La Muse, l’Université de Genève, et le réseau Rézonance, nous a fait passer pas moins de 10h00 en compagnie de Richard Stallman. Nous avons parlé logiciels libres et revenu universel. Il y a quelques fondamentaux qu’on peut mettre en parallèle entre les deux sujets.

 Samuel Bendahan, votre serviteur, Richard Stallman, Michel Léonard, Thierry Crouzet

Stallman est très précis et extrêmement rigoureux quant à la définition de ce que doit être un logiciel libre, et il a fallu pour bien s’entendre remonter jusqu’aux principes philosophiques fondamentaux, notamment celui de liberté. Le fondateur du projet GNU définit la liberté logicielle individuelle comme étant l’accès au code source, et les libertés de copier, de distribuer, et de modifier. Hors de ce champ d’application il refuse de débattre sur des sujets qui en seraient trop éloignés. Cette attitude peut paraître extrémiste, pour moi elle est extrêmement cohérente, parce que les idées qu’il promeut ne sont pas évidentes à faire comprendre si on s’éparpille dans des généralités.

Il est remarquable de noter en ce 9 Novembre qu’en fin d’après midi, et alors qu’il expliquait ces concepts à un groupe de 50 étudiants, il a fini l’explication sur un “Je n’ai jamais prôné la violence, ceci est une offense et je ne répondrai pas à cette question” en quittant la salle, et en laissant un blanc… Ceci en réponse à un début de question d’un étudiant apparemment “pro-libre” mais qui se demandait s’il fallait “brûler Microsoft” ? La réponse de Stallman fut plus profonde qu’un long discours. Cette réaction peut paraître surprenante, parce que par ailleurs Stallman est très doux, mais j’ai pu déceler dans son regard une étincelle de malice alors qu’il sortait de la salle (vers moi qui étais dans l’entrebaillement de la porte). C’était un point final en coup de théâtre.

Juste avant la sortie théâtrale…

Quand nous avons approfondi avec lui pour voir en quoi le changement d’un système monétaire pouvait s’apparenter à la philosophie du logiciel libre, nous sommes tombés d’accord sur les différences fondamentales entre les deux approches :

1°) Tout d’abord une monnaie et son système monétaire sont un consensus entre personnes, et donc tout changement sur ce sujet suppose un accord. Ce n’est donc pas de la nature de la liberté individuelle que de changer ce fonctionnement, alors que, concernant le logiciel libre, tout individu peut (a la liberté de…) modifier  le programme sans avoir besoin de consensus.

2°) Il faut faire la différence entre une proposition démocratique, qui consiste en un processus de prise de décision entre une communauté d’individus, et la liberté au sens individuel. Stallman évitera donc de parler de “liberté”, il préférera parler de démocratie, marquant ainsi la nuance entre les deux notions qui sont différentes. Stallman a tout le long de la journée très souvent appliqué cette méthode qui consiste à demander à “utiliser un autre mot” quand on parle d’un concept différent. Encore faut-il être bien sûr que le concept soit justement parfaitement appréhendé pour faire la différence.

3°) Nous avons alors parlé de protocole dans le sens où un protocole non plus ne permet pas la liberté individuelle au sens de la liberté de modification, du fait que le protocole modifié ne sera pas forcément compatible avec la version en utilisation. Il existe des protocoles “ouverts” comme XMPP, au sens où les spécifications sont ouvertes, et soumises à des changements de type démocratique parmi les développeurs. Pour autant, les libertés qu’il permet ne sont pas de la même nature que celles du logiciel libre. Il s’agit ici plutôt de la liberté de communiquer librement avec les utilisateurs ou logiciels utilisant le même protocole, via des applications tierces (ce que par contre ne permet pas par exemple le protocole de MSN Messenger, qui est donc selon ce point de vue un protocole “privateur” de libertés).

 La preuve est faite,Richard Stallman fait AUSSI le café !

Nous comprenons ainsi que les sujets diffèrent au sujet des types de libertés qui sont concernées. C’est donc cette approche concernant les libertés individuelles permises ou non qui dictent la démarche de Stallman. Il rappelle que plus généralement ce sont les principes de “liberté, égalité et fraternité” qui sont l’origine du développement du logiciel libre.

Ces notions, nous amènent ainsi à définir les libertés concernant le changement d’un système collectif comme étant de nature différente de celles permettant la modification d’un logiciel libre. Le pouvoir de modifier un code individuellement, ne présuppose pas celui d’avoir un accord démocratique sur l’usage de ce code, et inversement, l’accord démocratique sur un système, ne doit pas brider la liberté individuelle de changer un code et de le proposer de façon libre. Nous avons là deux domaines indépendants. La liberté individuelle de modifier un code, et le choix démocratique d’accepter un système utilisant ce code.

Il n’est pas rare de voir des communautés entières d’utilisateurs quitter un projet libre pour en développer une version qui correspond mieux à leurs souhaits, que la direction démocratique qui a été décidée dans la version initiale (exemple récent du “fork” d’Open Office vers Libre Office). La démocratie est soluble dans le principe de subsidiarité dans le monde libre.

Nous avons donc avec le Dividende Universel un code de système monétaire librement développé (avec des versions améliorées depuis au moins 1920), qui participe à un consensus dans le sens où quantité de personnes sont d’accord pour utiliser un tel code. Pour autant, il ne constitue pas encore un choix démocratique au niveau de beaucoup de nations concernant leur monnaie officielle. Mais par ailleurs ceux qui l’acceptent comme formalisme monétaire devraient avoir la liberté de pouvoir l’adopter librement, et pas d’être soumis à un autre système de façon forcée. Ce constat, bien que reposant sur des libertés différentes, dans des domaines différents, est similaire à celui qui a conduit au développement du logiciel libre. C’est une “privation” de liberté qui nous incite à promouvoir la liberté dans les systèmes que nous voulons déployer.

La possibilité de l’implantation de ce nouveau code monétaire implique donc, soit un choix démocratique, soit l’application du principe de subsidiarité qui doit permettre à toute communauté de librement quitter la monnaie dont elle ne veut pas, afin de créer la sienne propre. La modification du code dont il s’agit ici étant le Dividende Universel tel que défini par la Théorie Relative de la Monnaie, comme propriété symétrique de son fonctionnement équitable dans l’espace-temps.

Or, et c’est sans doute la conclusion essentielle que je peux formuler suite à cette journée, ce choix n’est pas technique, il est guidé par des libertés individuelles fondamentales associées à la définition d’une monnaie, qui bien sûr sont différentes de celles associées au logiciel libre, mais qu’on peut alors préciser selon une démarche similaire :

– Liberté de produire biens et richesses.
– Liberté d’échanger monétairement avec autrui.
– Liberté d’entreprendre.

Ces libertés sont bafouées par un système monétaire asymétrique, qui consiste donc en une monnaie “privatrice” dans le même sens de “privateur” (Stallman fait une différence entre “propriétaire” et “privateur”, il demande là aussi de ne pas déformer ses mots) défini par Stallman, parce que ces monnaies, basées sur de l’argent dette à émission centrale et arbitraire, privent l’individu de ces libertés. Pour autant on ne peut pas dire qu’il s’agit d’une monnaie “propriétaire”, parce que les Banques Centrales assurent un contrôle au moins partiel de cette monnaie, qui n’est donc pas la propriété complète de quelque entité privée que ce soit.

Et donc, on peut noter alors une définition des principes fondateurs de la monnaie très différentes de la définition pré-relativiste “classique” et surannée qui reposait sur :

– Une unité de compte
– Un intermédiaire d’échange
– Une réserve de valeur

Des notions qui ne mentionnent pas les libertés fondamentales. Autant de concepts pré-relativistes voyant dans l’Univers des “valeurs absolues intrinsèques” qui n’existent pas (la relativité a y compris détruit toute notion de temps et de simultanéité absolus) . Même concernant l’intermédiaire d’échange, il n’est pas la même chose de définir une monnaie qui est un intermédiaire d’échange, que de définir une monnaie qui assure la liberté de pouvoir effectuer des échanges monétisés. Cette liberté ne saurait dépendre ni d’une valeur spécifique, ni d’un centre d’émission arbitraire. Elle dépend essentiellement d’une émission symétrique du crédit, et donc d’un Dividende Universel.

Thierry Crouzet a fait deux posts que je vous invite à lire, et qui apportent un éclairage supplémentaire sur la théorie relative de la monnaie et ce dialogue avec Stallman “Quand on aime la liberté on aime pas la centralisation” et “Ils manifestent pour rien“.

Thierry Crouzet, Sam Dixneuf, et Richard Stallman
www.creationmonetaire.info – Creative Common 3.0

(4 commentaires)

  1. Je suis en train de m’essayer à la rédaction de spec :

    1. Définition d’une Unité de Monnaie.

    Une unité de monnaie est définie comme une information unique. Donc un numéro de série, un nom désignant la monnaie donc propre à celle-ci, et une quantité de valeur de la monnaie. Le tout est signé par l’autorité émettrice. Pour des mesures de sécurité l’autorité émettrice ne doit pas être unique eg. associé à une seule clé privé. Aussi l’autorité émettrice associé à la clé privé pour la signature doit faire partie de l’information de l’unité de monnaie.

    Cette unité de monnaie peut donc aussi être appelé billet électronique.

    Sans s’attarder sur la composition bit à bit de l’information égale à une unité de monnaie, qui devra être assez petite pour une utilisation performante par les ordinateurs d’aujourd’hui, voici le résumé du contenu de ce billet électronique :
    – nom propre de la monnaie
    – quantité de valeur dans cette monnaie (eg 1, 100 , 10000 … )
    – numéro de série du billet
    – nom de l’autorité de signature du billet.
    – signature.

    2. Sécurisation de la masse monétaire.

    Le problème qui se pose alors est celui de la non-duplication de la monnaie. A cela nous avons déjà une solution : la même qui empêche la non-duplication d’un nom de domaines : DNSSEC.

    3. Répartition de la masse monétaire et compte “bancaire”.

    L’idée d’utiliser le mécanisme DNSSEC pour empêcher la duplication de monnaie implique le mécanisme de répartition de la monnaie :

    Des serveurs racines qui référencent toute les monnaies du monde et leur répartitions dans différentes zones d’échanges de premier niveau.
    Des serveurs de zone du premier niveau qui référencent toute les monnaies de leur zone et leur répartition dans leurs zones d’échange du second niveau.
    Et ainsi de suite…
    A la fin de l’arbre on a un compte de monnaies. Utilisable par une ou plusieurs personnes.

  2. Pour continuer sur la liberté :

    Nos moralistes voudraient bien réduire ce problème de société à un problème de « mentalité ». Pour eux, l’essentiel est déjà là, l’abondance réelle est là, il suffit de passer de la mentalité de pénurie à la mentalité d’abondance. Et de déplorer que ce soit si difficile, et de s’effarer de voir surgir des résistances à la profusion. Il n’est pourtant que d’admettre un instant l’hypothèse selon laquelle l’abondance n’est qu’un (ou du moins est aussi) système de contraintes d’un type nouveau pour comprendre aussitôt qu’à cette nouvelle contrainte sociale (plus ou moins inconsciente) ne peut que répondre un type nouveau de revendication libératrice. En l’occurrence, le refus de la « société de consommation », sous sa forme violente et érostratique (destruction « aveugles » de biens matériels et culturels) ou non violente et démissive (refus d’investissement productif et consommatif). Si l’abondance était liberté, alors cette violence serait en effet impensable. Si l’abondance (la croissance) est contrainte, alors cette violence se comprend d’elle-même, elle s’impose logiquement. Si elle est sauvage, sans objet, informelle, c’est que les contraintes qu’elle conteste sont elles aussi informulées, inconscientes, illisibles : ce sont celles mêmes de la « liberté », de l’accession contrôlée au bonheur, de l’éthique totalitaire de l’abondance.

    *
    La Société de consommation, Jean Baudrillard, éd. Denoël, 1970, p. 281

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Mat%C3%A9riel_libre

    http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89conomie_de_l%27abondance

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