Le monopole du code monétaire

Dans un très bon article sur framablog intitulé “Ne dites plus copyright mais monopole du copyright !“, le fondateur du parti pirate suédois Rick Falkvinge nous explique que le copyrigt classique est en fait un droit exclusif ou monopole, ce qui est parfaitement contraire au droit de propriété. Voilà le genre d’article qui devrait nous faire creuser plus profondément la nature même de ce qui est pensé comme échange économique dans l’ancien paradigme, où sous couvert d’encensement de la concurrence libre et non faussée, se cachent en réalité des monopoles très bien tenus qui participaient d’une rente en totale absence de véritable prise de risque.

Car c’est bien la nature même de l’outil d’échange économique, en tant que monopole conceptuel et factuel qui est la source des monopoles tels que le copyright et menace de fait l’ensemble des développements libres. En effet comment une économie qui intègrerait le développement d’oeuvres libres peut-il être compatible avec un outil d’échange monétaire parfaitement privateur ? Les développeurs de logiciels libres n’ont-ils pas dû axer leurs efforts sur le développement d’un OS libre, ainsi que de protocoles de communication ouverts, comme base fondamentale ?

Un développeur de logiciels libres qui se limiterait à développer au sein d’un OS privateur n’est-il pas parfaitement limité dans ses potentialités et soumis au dictat de changements opaques, de malwares ou autres spywares, que le détenteur de cet OS lui imposera au fil des modifications qu’il imposera unilatéralement aux utilisateurs ?

De la même façon une activité économique qui se développe au sein d’un système monétaire monopolistique est soumise au dictat de cette monnaie. Il y est soumis de deux façons. D’abord au niveau du code même de ce système d’échange comme seul code de base d’une monnaie où qu’elle se trouve dans le monde, ainsi que par l’utilisation d’une monnaie unique au sein de la zone économique où elle est imposée.

Monopoly (image wikimedia)

Quel est le code unique et donc monopolistique des systèmes de monnaies privateurs ? C’est pour l’essentiel les règles de Bâle, un système qui légitime que des acteurs priviligiés de l’économie ont le droit d’émettre de la monnaie de façon unilatérale par effet de levier et d’en tirer subséquemment une rente sur l’ensemble des activités économiques. La “taxe tobin” existe donc bel et bien depuis 1971 ! Toutes les transactions financières sont in fine taxées au profit des émetteurs privilégiés de ce système monétaire, soit par l’intérêt, soit par l’inflation via la création monéaire opaque et unilatérale, avec qui plus est la caution des Etats qui pour s’assurer que ce système ne s’effondrera pas, le nourrit sans fin sur le dos des libertés.

Le fait que l’Etat impose ensuite l’utilisation d’une seule monnaie dans son fonctionnement, revient à vivre au sein d’une entreprise où tous les postes de travail sont sous le même OS privateur et où donc toute installation de nouveau logiciel est soumis à l’approbation du centre informatique en décourageant de ce fait l’initiative individuelle.

On voit tout de même apparaître ça et là des monnaies locales alternatives comme le “sol violette” ou autre “abeille“. Mais l’oeil exercé au code ne peut se satisfaire de cette émergence quand bien même elle manifeste bien l’inefficience cyclique d’une monnaie privatrice unique à code unique, il se concentre sur le code de cette monnaie.

 Monnaie à code privateur (wikimedia)

Ce code est-il lié à la monnaie officielle ? Si oui il ne s’agit guère d’une alternative véritable au code monétaire privateur, ça ne représente pas mieux que d’émuler un OS au sein de l’OS privateur.

Ce code est-il similaire à celui de la monnaie officielle ? S’il s’agit d’une émission centralisée et unilatérale de monnaie c’est bien le cas ! S’il fallait se réjouir aux débuts de l’informatique personnelle que des OS privateurs concurrentiels voient le jour, on est encore loin d’avoir saisi la très grande différence qu’il y a avec un OS libre… Jamais l’honnête homme ne devrait confondre la concurrence entre systèmes à codes privateurs et la nature d’un système à code libre. La concurrence entre codes privateurs n’est pas l’expression des libertés logicielles !

Vous le vérifierez donc par vous mêmes. En aucune façon ces systèmes de monnaies locales ne se distinguent du code d’un système monétaire privateur. Le code de création de monnaie qu’ils proposent reste au choix opaque, centralisé, à effet de levier, arbitraire, et leurs tenants sont des acteurs priviligiés qui prétendent “gérer” la monnaie d’autrui comme on gère un cheptel de moutons.

Alors quelles sont dans ce cas les alternatives réellement libres qui peuvent proposer un système monétaire qui ne privilégie pas un centre quelconque vis à vis de l’émission monétaire ?

Le système des Bitcoins est une première tentative. Le code informatique est effectivement libre. Mais son code monétaire, son mode d’émission, est limité dans le temps et privilégie les premiers entrants au détriment des derniers et se base pour sa création sur une puissance informatique qui n’a aucune raison d’être considérée comme une activité économique priviligiée. Et donc ce système monétaire là ne peut pas être considéré comme un système monétaire libre relativement à la seule base qui permet de définir les libertés économiques = l’individu. Les libertés économiques n’ont de sens que relativement aux individus, pas relativement aux machines et les individus ne sont pas éternels, ils meurent tous et sont remplacés par les nouveaux nés (voir l’homme, le flux, la monnaie).

OpenUDC propose un standard de système monétaire à code libre et à monnaie libre, où l’espace-temps est pris en compte, et où donc chaque individu(t), qu’il soit premier ou dernier entrant, est considéré comme parfaitement égal devant une création monétaire qui n’en privilégie aucun.

Est-ce que la monnaie officielle pourrait se transformer en système monétaire libre ? C’est possible. Tout autant qu’il était possible à tout moment que Microsoft ou Apple aient libéré leur code et considéré les libertés des utilisateurs. Quant à ce qu’il s’est réellement passé, c’est le développement d’alternatives libres parfaitement indépendantes dont GNU/Linux est sans aucun doute le succès le plus connu à ce jour, puisque la base même qui a permis ce que constitue internet.

Et c’est donc en comprenant cette différence fondamentale qu’il y a entre un système monétaire privateur et un système monétaire libre, que l’on comprend que les débats concernant le monopole du copyright ou même celui concernant la neutralité du net n’ont aucune chance d’être résolus pacifiquement alors qu’il s’agit pour une classe d’acteurs particuliers de s’assurer essentiellement de la continuité d’une approche limitée et privatrice de ce qu’est l’économie et son outil d’échange.

Cela revient à se battre contre un OS privateur en lui demandant de respecter le développement de logiciels vraiment libres en son sein, au lieu de concentrer ses efforts sur la mise au point d’un OS libre. Ou encore de vouloir produire et défendre la création libre et l’échange P2P au sein du Minitel au lieu de se connecter à l’internet via le protocole ouvert et symétrique qu’est TCP/IP. Voilà exactement ce dont il s’agit.

 Mascotte du projet GNU (wikimedia)

C’est pour cette même raison fondamentale que j’ai expliqué pourquoi le projet Flattr ne pouvait être cohérent pour développer une rémunération des producteurs libres, puisqu’il ne repose pas sur une monnaie libre, et que ses développeurs ont tenté de développer le même type de profitabilité sur la monnaie d’autrui que le font les tenants de monopoles. C’est l’ignorance de la différence de nature entre codes privateurs et codes libres qui nous empêche d’accéder à la perspective numérique.

Alors à quel jeu voulez-vous jouer ? La même partie avec les mêmes règles pour les 80 ans à venir ? Vraiment ?

www.creationmonetaire.info – Creative Common 3.0

(7 commentaires)

  1. Toujours aussi précis et clair.
    Super!
    J’ai hâte de pouvoir vous aider avec OpenUDC… c’est à dire, quand il y aura quelque chose qu’un non informaticien pourra tester.
    Un petit pas à pas que je pourrais suivre pour ensuite le commenter en vu de l’améliorer. Je fais déjà ça pour le projet newebe et beedbox. On se voit sur Jappix.

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